Qu'est-ce qui peut être signalé ? Peut-on signaler ? Doit-on signaler ? À qui signaler ? Quoi signaler ? Que risque-t-on à signaler ? Que risque-t-on à ne pas signaler ?
Les conditions de levée du secret professionnel.
Je ne tiendrai pas de liste de ce qui peut faire l'objet d'un signalement ou une information préoccupante. Il faut considérer que tout signalement ou information préoccupante viole le secret professionnel : donc, la question est plutôt "dans quels cas le secret peut/doit être levé?" (cf. plus bas).
Le signalement s'entend d'une communication d'informations directement au procureur de la république et l'information préoccupante au président du conseil départemental (via la CRIP, cellule de recueil des informations préoccupantes).
Cependant, on peut retenir dans le code pénal, les articles 434-1 (prévention d'un crime), 434-3 (privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles sur mineur) et 226-14 (circonstances de levée du secret).
Le code de l'action sociale et des familles (article L 119-1) donne une définition de la maltraitance.
On notera aussi pour information l'article 227-25 du code pénal duquel on déduit que la "majorité sexuelle" est à l'anniversaire des 15 ans (le mineur âgé de 15 ans et plus peut consentir à des relations sexuelles).
Enfin, je note l'article 1 du décret n° 2013-994 qui définit l' "information préoccupante" (situation d'un mineur dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger ou en risque de l'être ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l'être) qui est très proche de l'article 375 du code civil.
Plusieurs codes traitent de cette problématique
Code pénal : des entraves à la saisine de la justice
On est en matière de crime. Cet article dit que si vous connaissez l'existence d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs pourraient commettre de nouveaux crimes, vous serez puni de ne pas en avoir informé les autorités judiciaires ou administratives.
Cependant, cet article stipule que, comme vous êtes astreint au secret professionnel, vous n'êtes pas concerné par cette obligation de saisir la justice, le secret prime.
On y parle du cas où vous n'informez pas les autorités judiciaires ou administratives alors que vous avez connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles sur un mineur (et sur d'autres personnes fragiles).
Il doit s'agir de faits connus par vous, il n'y a pas de place ici pour l'intuition.
Le problème de cet article réside dans l'interprétation de son dernier alinéa : "Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13.". Je vous renvoie ici vers une page du site secretpro.fr qui traite de cette question de l'interprétation, mais également des passages d'un article dans cairn qui indiquent clairement qu'il n'y a pas d'obligation de levée du secret pour l'article 434-3 (pas plus que pour le 434-1).
Code pénal : de l'atteinte au secret professionel
L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L.226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ;
3° Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une.
Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.
C'est-à-dire que lorsque vous signalez ce qui est prévu dans l'article 226-14, la violation du secret professionnel ne peut pas vous être reprochée, pas plus que vous ne risquez de sanctions disciplinaires.
Mais il s'agit d'une faculté de lever le secret : nulle part n'est écrit qu'il s'agisse d'une obligation.
[...] Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
Le psychologue de la Fonction Publique Hospitalière est un fonctionnaire par son statut et il doit se conformer à ces prescriptions, même s'il n'y pas de sanction prévue en cas de manquement à l'obligation portée par cet article 40 du code de procédure pénale.
Cette disposition est reprise par le code de la fonction publique (article 121-11).
Toutefois, comme vous pourrez le lire à cette page du site secretpro.fr, dans la pratique, cet article ne s'applique pas, car il touche l'ordre social, la crédibilité des professions qui y sont soumises (voir aussi la page du site secretpro.fr sur les fondements du secret).
Nous quittons le domaine du pénal et entrons dans le champ du civil et de l'administratif : le Juge des Enfants peut prendre des mesures d'assistance éducative si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises.
Il est attendu que nous transmettions au Président du Conseil Départemental les informations préoccupantes concernant des mineurs en danger ou risquant de l'être dont nous avons connaissance au sens de l'article 375 du code civil. Il est prévu également que nous puissions partager des informations couvertes par le secret professionnel avec les professionnels chargés de mettre en oeuvre la protection de l'enfance (les services dédiés du Conseil Départemental), mais uniquement les informations utiles à l'évaluation de la situation du mineur. Les parents doivent être informés lorsque nous signalons des informations préoccupantes au Conseil Départemental, sauf si cette démarche est contraire à l'intérêt de l'enfant. Nous sommes ici au civil : le secret partagé existe même s'il demeure inexistant au pénal (cf. article 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles et la page de ce site sur le secret professionnel).
Tout cela est valable si l'on considère que c'est, le cas échéant, du psychologue de la fonction publique hospitalière qu'il s'agit dans la formule des articles 226-2-1, 226-2-2 : "les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours". J'apporte ici cette précision car un juriste m'a répondu que les psychologues de la FPH n'étaient pas visés par ces dispositions du code de l'action sociale et des familles.
Quoi qu'il en soit de ces dispositions, elles constituent encore des cas où nous avons la faculté de lever le secret, mais toujours pas d'obligation).
Code pénal : de l'omission de porter secours
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
Cet article suppose que le péril est imminent, que le danger est actuel et en train de s'amplifier : on parle de votre action immédiate. Mais on n'y parle pas de signaler ni d'obligation de signaler : il y a souvent une confusion dans les esprits à propos de cet article et c'est pour cette raison que je le fais figurer ici d'emblée. On ne signale pas le fait que quelqu'un soit en train de risquer de mourir, on agit en lui portant secours immédiatement sauf motif légitime.
Signaler ne dispense ni ne remplace l'obligation de porter secours.
Pour compléter utilement les informations ici présentes, je vous conseille la lecture de cette page du site secretpro.fr.
Selon les cas, il y a parfois une faculté de lever le secret professionnel et de rapporter des faits aux autorités (la violation du secret ne pourra pas vous être reprochée). Il n'y a pas d'obligation de levée du secret mais au contraire une nécessaire confidence qui préserve la crédibilité des professions soumises au secret professionnel.
Indépendamment des questions de signalement ou levée du secret, il y a toujours une obligation de porter secours en cas de péril (constant, imminent et grave).
La conduite à tenir s'apprécie en conscience. Vous pouvez vous entourer des avis de vos confrères en respectant l'anonymat.
En pratique, nous avons 2 interlocuteurs :
Retenons :
Enfin, pour information, je rappelle ci-après les différences entre Procureur, Juge, Conseil Départemental au niveau de leurs compétences et de leurs missions en matière de protection de l'enfance :
Le secret professionnel est levé concernant la connaissance de faits. Comme il s'agit de faits dont vous n'êtes pas directement témoin, employez le conditionnel pour rapporter ces faits. Mais, pour rapporter les paroles de l'enfant, comme vous êtes témoin direct des paroles de l'enfant, vous les citez entre guillemets. Si l'enfant nomme expressément son agresseur présumé, vous pouvez donner son nom en citant fidèlement l'enfant.
Un signalement émanant d'un professionnel sera pris en compte autrement qu'un signalement anonyme : identifiez-vous clairement!
Reportez-vous aux indications que je donne concernant la dénonciation calomnieuse.
NOTA BENE : pour information, le conseil national de l'ordre des médecins (Pages 2 et 5 du document : «Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l'Ordre des médecins de février 2016«) précise que le médecin «ne doit en aucun cas mettre un tiers en cause». Le médecin ne peut donc pas citer les paroles de l'enfant in extenso quand ces paroles désignent un tiers, le cas échéant l'auteur. «La dérogation légale au respect du secret médical les [les = les médecins] met à l'abri de toute poursuite pour violation du secret, à la condition expresse de ne dénoncer que les faits et non leurs auteurs allégués.»
Ce rapport ne précise pas à quel texte de loi il réfère cette prescription. Je ne connais que l'article 226-14 concernant la levée du secret ; et il ne parle pas de ne pas mettre en cause un tiers et, en outre, il exclut toute possibilité de sanction disciplinaire.
Je tenais à vous apporter cette référence car cela peut créer du conflit dans les équipes à propos des modalités de rédaction des informations préoccupantes et signalements.
Dénonciation calomnieuse?
Article 226-10 (dénonciation calomnieuse) : «La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.»
Ceci veut dire que votre signalement est calomnieux si vous avez nommé l'agresseur présumé et qu'en même temps vous l'avez accusé à tort intentionnellement (en sachant que c'était inexact).
Sanctions disciplinaires?
Article 226-14, dernier alinéa : «Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire».
Comme le dit très bien cet article, vous ne risquez pas de sanction disciplinaire en signalant les faits concernés par cet article.
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